Création sonore, cinéma pour l’oreille ou série d’images phonographiques
Dans les romans du cycle indochinois, peu à peu, les lieux vont être ramenés à une vision immédiate, imprévue et instantanée de l’écrivain, à une sorte de transcription improvisée d’une hallucination visuelle de l’auteur plutôt qu’à une visualisation descriptive détaillée. L’image est épurée, les lieux ne sont évoqués qu’à partir de quelques perceptions visuelles et auditives.
Faite de bruits et de silences, de sons, de la pluie, de la mer, de cris, de murmures de la ville, de piano, de chants, de musiques, l’œuvre est, de manière évidente, très sonore mais, à la lecture, on retrouve surtout quelques principes de la création phonographique : instantanéité, modulation, répétitions, résonnances et fixité.
De l’espace civilisé et habité de la ville, l’auditeur est transporté vers un espace primitif et sauvage, la forêt. L’eau, élément osmotique omniprésent qui réalise la fusion avec les autres éléments, permet ce passage. Mimant l’écriture de la représentation instantanée de Duras, faisant défiler les images suggérées d’un cinéma pour l’oreille, figurant l’épuisement de la représentation de l’espace indochinois, la création proposée provoque le surgissement d’images phonographiques, comme s’il ne restait plus, de cette histoire ressassée, de la persistance des lieux de l’enfance, que la bande-son qui aurait pu en être faite, une trace sonore.
la première version de l’œuvre « Les Bruits du dehors » a été présentée la même année au SCRIME (Université de Bordeaux), puis en octobre 2014, dans le cadre d’une promenade sonore imaginée par Anne-Laure Chamboissier pour le parcours d’œuvres Hors les Murs de la FIAC, « Les Berges de Seine », à Paris.
lors d’une résidence à l’Office Artistique de la Région Aquitaine et a été présentée dans le cadre du Festival Ritournelles de Permanence de la Littérature en décembre 2012.
La pièce Les Bruits du dehors se développe en trois mouvements, à partir d’éléments spatiaux omniprésents dans l’œuvre romanesque de Marguerite Duras : la ville, l’élément aquatique, la forêt. Les textes choisis parmi les romans qui réfèrent à l’espace indochinois révèlent chacun un lieu ou un espace. A partir de cette évocation, en mimant l’écriture de la représentation instantanée, quasiment photographique de Duras, surgit l’image phonographique.
« Dans le premier livre elle avait dit que le bruit de la ville était si proche qu’on entendait son frottement contre les persiennes comme si des gens traversaient la chambre (…). On pourrait dire là aussi qu’on reste dans l’ouvert de la chambre aux bruits du dehors qui cognent aux volets, aux murs, au frottement des gens contre les persiennes. Ceux des rires. Des courses et des cris d’enfants. Des appels des marchands de glaces, de pastèque, de thé » (L’Amant de la Chine du Nord).
« La pluie. Sur les rizières. Sur le fleuve. Sur les villages de paillotes. Sur les forêts millénaires. Sur les chaînes de montagnes qui bordent le Siam. Sur les visages levés des enfants qui la boivent » (L’Amant de la Chine du Nord)
Dans l’œuvre de Marguerite Duras, l’élément aquatique est omniprésent. L’eau recouvre les terres, charrie les maisons. C’est un élément osmotique qui réalise la fusion avec les autres éléments. Ainsi, l’eau contamine même l’élément végétal.
« Ils laissèrent les champs d’ananas et pénétrèrent dans la forêt. Il y faisait par contraste une fraîcheur si intense qu’on croyait entrer dans l’eau » (Un Barrage contre le Pacifique, p. 338).
C’est non loin de cette forêt que l’on rencontre les enfants de la plaine, affamés, qui se transforment peu à peu en oiseaux :
« Il y avait beaucoup d’enfants dans la plaine. C’était une sorte de calamité. Il y en avait partout, perchés sur les arbres, sur les barrières, sur les buffles… » (Un Barrage contre le Pacifique, p.115).